- Julie Claustre, « Les exploits des sergents du Châtelet dans l’espace parisien »
Julien Claustre, Maître de conférences à l’Université Paris I, a travaillé sur l’anthropologie de la dette, ainsi que sur l’enfermement au Moyen-Âge (Voir : Isabelle Heullant-Donat, Julie Claustre, Elisabeth Lusset et Falk Bretschneider (dir.), Enfermements II. Règles et dérèglements en milieu clos (IVe-XIXe siècle), Paris, Publications de la Sorbonne, 2015). Elle a également publié un manuel intitulé : La fin du Moyen Age (1180-1515), Paris, Hachette supérieur, Carré Histoire, 2015.
Le thème des sergents du Châtelet est souvent abordé par les historiens de Paris. L’espace parisien concerné par cette présentation englobe Paris et sa banlieue immédiate. Les plans utilisés sont faits d’après Alpage (http://alpage.huma-num.fr).
Introduction : Le rapport à l’espace des justices du bas MA n’a pas fait l’objet d’un travail synthétique et l’intérêt pour l’espace judiciaire est récent. (cf. Colloque organisé par le Labex Sciences archéologiques de Bordeaux : Les Fourches Patibulaires du Moyen Âge à l’Epoque Moderne, 23-34 janvier 2014). Le processus de territorialisation des pouvoirs séculiers est inséparable de la constitution d’un corps d’agents de justice pour exécuter les décisions de justice et s’occuper de la communication des différents pouvoirs. C’est un processus plus ou moins précoce et profond selon les régions entre le XIIe et le XVe siècle. La territorialisation s’accompagne d’une forme de professionnalisation des agents de justice. (cf. la thèse d’Isabelle Mathieu dans l’Anjou et le Maine : Les justices seigneuriales en Anjou et dans le Maine à la fin du Moyen Âge : institutions, acteurs et pratiques, https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00467929/PDF/texte_these_vol_1_et_2.pdf). Même si on remarque un intérêt croissant des historiens pour la dimension spatiale de l’activité des sergents, ce sont les données sociologiques qui sont les plus nombreuses (formation, rémunération, violence), alors que la logique spatiale de leurs activités est encore peu abordée.
Le terme « exploits » est utilisé dans la documentation parisienne pour qualifier l’activité des sergents. Il est à différencier du terme « besognes ». Les « exploits » sont les activités qu’ils exercent dans le cadre de leur mission de justice, alors que les « besognes » sont les activités complémentaires ou principales qu’ils exercent à titre personnel. Dans quelque ville que ce soit, les sergents ont des rapports complexes à l’espace et on peut distinguer quatre types d’exploits (missions) en fonction de leurs rapports à l’espace :
- Ils doivent mettre en œuvre les décisions de justice en allant du pôle judiciaire (par exemple à Paris, le Châtelet) à la maison des justiciables, notamment pour porter un ajournement etc. (cf. expédition collective contre le quartier des étudiants organisée en 1452 par d’Estouteville).
- Ils sont tenus d’arrêter des individus à la demande d’autres habitants (il s’agit des arrestations pour dette ou d’arrestations faites lors de la procédure accusatoire). Ils ne partent pas obligatoirement du tribunal (à nouveau par exemple le Châtelet), mais parfois du domicile de celui qui se plaint.
- Ils s’occupent des cris et des proclamations publiques (en général, ils sont deux : un crieur et un trompette), ainsi que des ventes aux enchères. Les sergents sont également requis d’accompagner les condamnés vers leur lieu de supplice. Ils partent alors du tribunal, vers d’autres lieux de justice prévus à cet effet et précis.
- Ils assurent le maintien de l’ordre par des rondes régulières (nocturnes) et peuvent alors surprendre des malfaiteurs en flagrant délit.
Ces différentes missions provoquent plusieurs types de déplacements. Cela complique l’appréhension de ces déplacements, sachant qu’il ne faut pas oublier que la « sergenterie » est une des activités des sergents qui peuvent être également taverniers etc.
Au sujet des sergents du Châtelet, les études les plus récentes sont les articles de Claude Gauvard dans Histoire et dictionnaire de la police (2005) et de Valérie Toureille (« Les sergents du Châtelet ou la naissance de la police parisienne à la fin du Moyen Age », dans : Entre justice et justiciables : les auxiliaires de la justice du Moyen Age au XXe siècle, C. Dolan éd., Québec, PUL, 2005).
Concernant leurs activités et leurs rapports à l’espace, l’historiographie parisienne traite deux questions, l’une sur la pluralité des juridictions parisiennes et les conflits qui mettent en cause des sergents du Châtelet avec les autres sergents, la deuxième sur l’origine municipale ou royale du cadre d’action des sergents (quartiers). Plusieurs groupes de sergents (agents seigneuriaux) travaillent dans Paris. Le jeu normal de l’exercice de la police dans Paris (11 justices en 1474 d’après les examinateurs du Châtelet) prend en compte la pluralité des justices qui suppose entre elles à la fois concurrence et coopération. Mais le Châtelet a deux avantages. La juridiction du Châtelet a l’appui régulier du Parlement. De plus, le nombre des sergents du Châtelet est important : à partir de 1369, on compte 220 sergents à cheval, 220 sergents à pieds (à verge), ainsi que les 12 sergents de la douzaine qui est la garde rapprochée du prévôt. Dans la suite de l’exposé, c’est le cadre d’action des sergents qui est pris comme fil directeur.
La documentation pour étudier le déploiement des sergents du Châtelet dans l’espace parisien est variée :
- Les règlements et ordonnances (cf. ordonnances de 1400 ou 1425). On trouve également des extraits dans les ordonnances de 1302 et 1309.
- Les rapports de sergents (de bouche ou par écrit). Quelques rapports écrits sont conservés par hasard dans les archives des seigneurs et des bénéficiaires des exploits des sergents (cf. fonds de Saint-Germain-des-Prés). On trouve des rapports écrits de sergents à cheval qui opèrent au-delà de la banlieue. La formule d’un rapport de sergent est également présente un formulaire de notaire imprimé au début du XVIesiècle (Le prothocolle des notaires, tabellions, greffiers, sergens et autres praticiens de court laye, contenant la manière de rédiger par escript tous contractz, instruments, partaiges, inventaires, comptes, commissions, rapports, demandes et autres actes et exploix de justice. Avec le guydon des secretaires contenant la manière d’escrire et adresser toutes lettres missives, Paris, 1518 [ ?], f. 129).
- Les écrous. cf. les écrous du Châtelet. Les écrous sont mis en registres. Dans les registres des arrestations des sergents, on trouve une masse d’informations sur leurs activités (cf. Archives nationales, Y 5266, 1488-1489).
- Les lettres de rémission, dans lesquelles on voit comment et où le sergent intervient, même si on n’a pas le parcours en détail.
D’une manière générale, l’activité des sergents respecte un rythme et un calendrier précis :
- Les exploits de la nuit (guet). Les sergents sont affectés au guet avec les gens des métiers. (Cf. dans l’Ordonnance de 1364, sont précisées 8 stations de guet nocturne : 2 au Châtelet, 2 aux Halles, 1 porte Baudoyer, 1 sur la place de Grève, 2 sur l’île de la Cité). Quelle est la topographie de la police nocturne ? cf. E. Cohen dans Peaceable domain, certain justice. Le guet est actif : il fait des rondes. L’espace ainsi « quadrillé » est un espace polarisé par la présence du roi, celle des reliques … et essentiellement symbolique.
- Les exploits de jour avec deux espaces distincts : la ville et la banlieue. Comment les sergents sont-ils déployés pendant la journée ? Depuis le début du XIVe siècle, la ville et sa banlieue sont l’espace où interviennent les sergents à verge, le reste de la vicomté est l’espace des sergents à cheval. Des conflits apparaissent au XVe siècle entre ces deux types de sergents concernant leur espace d’intervention réciproque. (cf. Alpage : carte qui présente une couche avec les localités qui composent la banlieue à partir des manuscrits du Grand coutumier de Paris). Dans l’ordonnance de 1400 (Archives nationales, Y1, ff. 94v-97r), on remarque une approche fine de la banlieue, qui distingue les périmètres d’intervention (demi-lieue ou lieue selon les exploits). La rémunération des sergents à verge est modulée en fonction de la distance qu’ils ont à parcourir. Un ajournement dans Paris leur rapporte 4 deniers, un ajournement entre muraille et demi-lieue, 12 deniers, au-delà jusqu’à une lieue, 2 sous, au-delà d’une lieue, 3 sous parisis. Le Châtelet distingue trois cercles autour de Paris. Ces espaces sont à distinguer pour les différents types d’exploits. Parfois, le troisième cercle est un peu instable, notamment pour la pose des scellés chez un mort ou un criminel.
- A l’intérieur de la ville, la répartition se fait en quartiers (cf. cartographie par J. Favier ou par Descimon et Nagle). L’origine des quartiers remonte au milieu du XIVe siècle. C’est d’abord un espace militaire et municipal (les quarteniers sont abolis en 1383 et rétablis au début du XVe siècle tout en devenant également un cadre fiscal). Les quartiers n’ont vraisemblablement pas varié du XVe à la fin du XVIIe siècle. Sont-ils des cadres de l’activité des sergents ? à partir du XVe siècle, ils sont des cadres pour l’activité policière des sergents. La première trace de ce lien se trouverait dans un ordre donné par la cour du Parlement aux examinateurs (commissaires) du Châtelet de rassembler les quarteniers, les cinquanteniers et les dizeniers, en septembre 1419 (cf. Pierre Thilliez, Les commissaires au Châtelet de Paris des origines à 1560, Thèse de l’Ecole nationale des chartes, 1946). Il y a coïncidence entre le nombre de quartiers (16) et le nombre d’examinateurs. Le travail des sergents dans les quartiers apparaît réellement dans les années 1470. Mais l’édition du fragment du registre d’écrous de 1412 (BEC, 1999) montre qu’il y a coopération entre les officiers municipaux des quartiers et les sergents du Châtelet.
Quel est le fonctionnement policier dans les quartiers ? Le quartier est-il un espace pertinent pour étudier les activités des sergents ? Cf. registre d’écrous de 1488-1489 (juin 1488-janv. 1489). On y trouve plus de 1800 écrous. Le mot « quartier » n’est pas une catégorie utilisée par le clerc de la geôle pour situer les exploits des sergents. Le clerc note le domicile du détenu, ainsi que celui de la personne qui a requis l’arrestation. Lieu de l’exploit n’est pas noté en tant que tel. Il faut être attentif aux procédures de l’arrestation et, à partir de là, on peut émettre des hypothèses sur le lieu de l’arrestation. Si on prend écrou par écrou en regardant les procédures en jeu, on arrive à faire des hypothèses sur le lieu de l’exploit des sergents. Par exemple, les lieux mentionnés en octobre 1488 (octobre et novembre, sont les deux mois où les arrestations sont les plus nombreuses) pour les arrestations faites par le sergent Phillebert Billault qui habite rue Saint-Julien le Pauvre. Il intervient principalement sur la rive gauche, mais aussi une fois sur l’île de la Cité, une fois à côté du Châtelet, une fois à l’extérieur des murailles, rue Saint-Honoré. Son activité se concentre dans un espace situé non loin de son domicile. 2ème exemple : l’examinateur, Guillaume du Val de Mercy, demande des arrestations réparties sur 16 quartiers. cf. Nicole Poissonnier (oct. 1488) concentre ses demandes sur la rive gauche. Le quartier n’est donc pas le cadre exclusif de l’activité des sergents. Les examinateurs sont censés travailler à partir de la fin du XVe siècle chacun dans un quartier avec une brigade de 10 sergents (160 sergents seraient donc affectés aux examinateurs), mais le premier texte qui atteste de cette répartition date de 1515.
Conclusion. Il faut et on peut utiliser l’ensemble du registre d’écrou de 1488-1489 avec méthode et rigueur pour savoir si les sergents sont préférentiellement affectés à certains quartiers et donc si la justice se territorialise dans l’espace parisien.
Discussion :
Boris Bove (BB) : Concernant la coopération entre les sergents du Châtelet et les sergents des autres justices, les sources donnent des informations sur les territoires mais pas sur les déplacements des agents à l’intérieur les justices concurrentes. Les déplacements sont-ils gênés par les différentes justices ? Y a-t-il des règles de circulation à l’intérieur de ces justices ?
Simone Roux (SR) : Dans les comptes de l’hôtel-Dieu, un exploit est mentionné où le sergent a un pied dedans et un pied dehors comme à l’accoutumé. Elle rappelle également les cas des sergents qui se font rosser par des serviteurs quand ils entrent dans une maison. Il doit y avoir des règles qui ne sont pas écrites.
Julie Claustre (JC) : Quand ils doivent saisir des biens, ils peuvent entrer. Cela doit dépendre du type d’exploits.
Julien Briand (JB) : revient sur le problème des limites de juridiction entre la rue (domaine publique et première juridiction) et la maison qui appartient à une autre juridiction.
Anne-Laure Allard (AAA) : Comment les rapports des sergents sont-ils produits et conservés à Paris ? Pour Saint-Martin de Pontoise, ils sont faits à la demande du bénéficiaire et on trouve des sentences du Châtelet avec le rapport du sergent attaché avec.
JB : certains sergents du Châtelet seraient spécialisés dans les cris. Peu d’informations à ce sujet.
JC : il n’y a pas d’énumération des lieux accoutumés pour les cris. Dans les registres de cris, on n’a pas le nom du sergent crieur, ni le lieu où se font les cris.
Cléo Rager (CR) : à Troyes, on distingue entre sergents et sergents crieurs.
Caroline Bourlet (CB) : concernant les cercles de paiement des sergents, il faut cartographier les chemins du XVe siècle pour bien appréhender la distance relative des villages. Les salaires selon le type d’activité sont calculés d’après le temps passé et le nombre de fois que le sergent doit se rendre sur place (cf. pour réunir le chapitre d’une abbaye). Pour une arrestation, il faut du renfort et cela demande du temps. L’organisation de l’échelle des salaires peut être liée au temps et pas seulement à l’espace parcouru.