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Séminaire d’Histoire de Paris du 15 avril 2016 [6] : Circulations économiques et curiales

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Alain Salamagne, « Circuler autour du château : l’exemple du Louvre »

Le problème de la circulation autour du Louvre est un sujet difficile à traiter puisque le château médiéval a été modifié et détruit par les constructions ultérieures.

Le problème des circulations autour des châteaux est un aspect peu étudié en France, mais davantage en Angleterre. Le château de Bodiam dans le Kent a été construit en 1385 par un seigneur de retour de France où il avait amassé un butin considérable. Il a obtenu une licence de fortification, ce qui lui a permis d’édifier une des plus grandes forteresses d’Angleterre avec une série d’éléments de terre situés dans une cuvette interprétée comme une adaptation à l’artillerie à feu. Lors des fouilles, ces terrassements ont pu être identifiés comme les aménagements de jardins. Le château de Bodiam apparaît donc comme un château d’apparat avec des ouvertures de tir qui ne servent à rien ! A été mis en place un système de circulation indirecte autour du château, avec une véritable scénographie des parcours et des lieux de promenade, ainsi que des viviers pour recréer un espace imaginaire autour du château dont les tours se reflètent dans les eaux. C’est la mise en scène de l’image du château-fort.

Cet exemple montre qu’il est nécessaire de faire une interprétation des circulations autour du Louvre. Toutefois, sur le Louvre de Charles V, la documentation est réduite, même si des fouilles ont été réalisées sous Napoléon III, puis entre 1983 et 1986. Les documents produits au XIXe siècle sont plus précis que les plus récents, et l’image du Louvre reste très partielle. Sont visibles aujourd’hui, une partie des escarpes de la puissante tour maîtresse de Philippe Auguste et des contreforts qui soutenaient la grande vis.

Ont travaillé sur le Louvre, mais sont parvenus à des conclusions différentes à partir des mêmes documents :

  • Mary Whiteley, « Le Louvre de Charles V : dispositions et fonctions d’une résidence royale », Revue de l’Art, 1992,97-1, 60-71
  • Alain Salamagne. « Du Louvre à Saumur, châteaux angevin ou châteaux des Valois ? », dans : Archeologia dei castelli nell’Europa angioina, secoli XIII-XV, Medioevo scavato, 5, 2011, p.58-66. Id., « D’Ardres au Louvre : la distribution des espaces dans le château français », dans : Journées d’étude : Châteaux et modes de vie au temps des ducs de Bretagne, XIIIe-XVIesiècle, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2012, p.177-196. Id. « Lecture d’une symbolique seigneuriale, le Louvre de Charles V», dans Patrick Boucheron et Jean-Philippe Genet, Marquer la ville. Signes, empreintes et traces du pouvoir dans les espaces urbains (XIIIe -XVIIe siècle), Actes du colloque de Rome, 10-12 décembre 2009, Publications de la Sorbonne/École française de Rome, 2013, p. 61-81.

Les autres sources utilisées sont des sources iconographiques : Les très riches heures du duc de Berry (Chantilly, Musée Condé, ms 65) qui sont un document exceptionnel, puisque c’est la première fois dans histoire de l’art que des édifices sont représentés avec une telle précision. Nous disposons ainsi d’un portrait véritable des châteaux royaux du Louvre, de Vincennes, de la Cité puis des châteaux qui appartiennent au duc de Berry (Lusignan, Dourdan etc.). Le Louvre est représenté avec une image de la ruralité. Ces miniatures sont datées de 1410-1415 avec une reprise vers 1450 (cf. le système de l’ombre projetée des personnages). Pour le Louvre, la miniature est d’un extrême intérêt pour la représentation du château de Charles V. Le roi décide de reconstruire le Louvre dès le début de son règne, puis il s’occupe de Vincennes. Le Louvre est d’abord le château de Philippe-Auguste (en 1190, la grosse tour est construite, puis dans la décennie 1200-1210, une enceinte est édifiée, ce qui donne le modèle du château-fort philippien qui se diffuse au XIIIe siècle). Le Louvre se trouve aux portes de l’enceinte dite de Philippe-Auguste et à proximité du Palais de la Cité. Il est donc à proximité des lieux du pouvoir. Dans le Palais de la Cité, se trouvent les fonctionnaires du roi. Alors que le Louvre de Charles V a principalement une fonction résidentielle ou de représentation. Les détails de la miniature des Très riches heures sont précis et corroborés par une série de comparaisons. Le plan de l’édifice ancien est conservé et un niveau est ajouté avec des combles qui ont une importance essentielle dans la circulation, notamment celle du souverain (cf. Christine de Pizan). Les parties hautes du château sont le lieu privilégié du monarque jusqu’au début du XVIIe siècle. Le surgissement d’un château nouveau dans un espace détruit marque la réaffirmation du pouvoir royal.

Deux autres documents représentent le Louvre : le Retable du Parlement de Paris (Musée du Louvre) (vers 1453-1454) et le Retable de Saint-Germain-des-Prés (Musée du Louvre) (vers 1490-1500). C’est le front sud du château qui est privilégié. Le peintre devait se situer au niveau de l’hôtel de Nesle (qui appartenait au duc de Berry). Ces documents posent problème malgré des liens qui les rapprochent. Les berges paraissent maçonnées, alors qu’on affirme que c’est François 1er qui les a aménagées, visiblement un système de quai (cf. France Bourbon).

Le Louvre médiéval a été progressivement détruit, notamment sous François 1er. Au début du XVIIe siècle, le côté nord et le côté oriental étaient encore conservés, avec la présence au nord de jardins médiévaux. La basse-cour a disparu au début du XVIIe siècle et la muraille a été détruite.

Sur le plan du Louvre reconstitué, apparaissent les innovations introduites par Charles V : des aménagements de pièces résidentielles et de lieux de représentation. Dans l’aile nord, les pièces de pièces de représentation sont construites sur deux niveaux. On accédait aux appartements par la grande vis hors-œuvre : le logis de la reine se trouvait au rez-de-chaussée sous l’étage du roi. Dans les tours, des études se trouvaient en fin de parcours, selon le principe qui veut que plus la pièce est privative, plus elle se trouve en fin de parcours. Dans le logis du roi, se trouvait la salle du conseil. Comme le roi et la reine changeaient d’habits en fonction des circonstances, il était nécessaire d’avoir une garde-robe à proximité.

Restitution de l’environnement du Louvre :

  • Un canal qui reliait le Louvre à la Seine (comblé sous François 1er, mais sur le plan de Truchet, on voit encore son départ), avec à côté une sorte d’exutoire (un égout pour rejeter les eaux usées). On trouvait une aile au sud qui abritait les cuisines, le garde-manger et les offices avec des fenêtres étroites (fonction de service). Le canal pouvait servir à approvisionner le château.
  • Une basse-cour limitée par enceinte de Philippe-Auguste jusqu’aux environs de l’église St-Nicolas, avec une porte.
  • Des petits jardins à l’ouest avec des bâtiments comme la fourrière, la fauconnerie.
  • Au nord, les grands jardins.

Les circulations intérieures et extérieures sont liées. A partir de la fin du XIVe siècle, s’observe une ségrégation des différents parcours en fonction du rang des personnages, d’où la multiplication des escaliers en vis et la variation de leurs dimension. Les escaliers étroits sont les escaliers de service et diffèrent des grands escaliers (dont la grande vis). Les deux escaliers principaux sont : la grande vis avec un décor héraldique, symbolique et ostentatoire et la vis de la fauconnerie dans la tour où se trouvaient les faucons royaux, qui est une vis privative qui desservait les appartements du roi et de la reine.

Concernant la circulation des ambassadeurs (cf. Froissart, l’accueil d’une ambassade anglaise en 1390), ces derniers arrivent à la porte est et mettent pied à terre. Ils sont alors accueillis, et entrent dans la grande cour pour contourner la tour jusqu’à la grande vis. Ils montent cet escalier sans traverser le logis de la reine et accèdent au logis du roi, où ils sont accueillis dans la chambre de parement par le roi (vérification des lettres avant de donner la parole aux ambassadeurs). La chambre de parement est visible dans une miniature de Jean Fouquet qui représente la remise de l’épée de connétable à Du Guesclin par Charles V (Grandes chroniques de France, vers 1470, Paris, Bibliothèque nationale de France, ms. français 6465, fo 434v). La richesse du décor participe de la définition des espaces.

Comment le roi circulait-il ? L’entrée du roi, acclamé par la foule, se fait sur un destrier, jusqu’à un montoir (podium de 2 à 4 marches qui permet au roi de monter dignement sur son destrier). Les circulations se font à cheval noblement ou par l’eau, comme lors de l’accueil de l’empereur Charles IV en 1378 par Charles V. C’est le moyen le plus plaisant pour gagner le Louvre depuis le Palais de la Cité. Dans ce palais, les appartements privés du roi et de la reine sont sur les jardins, avec la présence d’une galerie de treilles dans le jardin qui permet de gagner une porte sur la Seine pour pouvoir accéder au bateau. L’empereur se déplace dans une chaise portée par des chevaux. Le roi est à côté de lui et lui montrer le nouvel édifice. Il se fait le guide pour présenter à l’empereur le château. Le Louvre est un élément de propagande de l’imagerie royale : le roi est empereur en son royaume.

Seul le roi a le droit de pénétrer à cheval dans un château royal, mais il n’est pas sûr que Charles V ait procédé de cette manière pour entrer au Louvre. Il y a un accès à partir du Sud-Ouest dans une basse-cour fermée par une porte vers les écuries (à proximité d’un point d’eau). Le roi mettait pied à terre rapidement (montoir du roi). Il entrait par eau ou par voie de terre jusqu’à la porte des jardins (en évitant Paris).

Y avait-il un accès secondaire au sud ? Une grande partie des pièces privatives (librairie) se trouvait au niveau supérieur du Louvre. Les galetas sous les combles sont richement ornés. Le roi circule par les parties hautes : on trouve une galerie haute couverte jusqu’au châtelet du sud où se trouve l’armurerie du roi. Une fenêtre encadrée par les statuts du roi et de la reine servait de lieu où le roi pouvait se faire acclamer. Il y avait peut-être un accès au montoir directement à partir de la tour du Sud-Ouest. De toute façon, il existait une série de parcours réservés pour le roi.

Quelques remarques sur cet environnement et sur la proximité du château et des jardins. Charles V a fait traduire le traité de Pierre de Crescent sur l’art des jardins. Au départ, les jardins de la reine et les jardins du roi étaient séparés. Il existait des jardins privatifs à l’usage exclusif du roi élaborés selon une trame géométrique avec des allées bordées par des treilles avec à l’intérieur la présence de carrés avec des plantes aromatiques, des fraisiers et un potager. Ces jardins s’ouvraient directement devant la chambre du roi et de la reine (jouissances olfactives). Ce sont des jardins de senteurs et de couleurs. Les grands jardins sont des espaces diversement occupés par la végétation. On a reconstitué avec le végétal une grande salle avec la présence des chaires du roi et de la reine pour présider à des assemblées. Le jardin est vu comme une prolongation de l’espace du château et est conçu en miroir. À l’intérieur de la salle végétale, se trouve une motte de terre avec un pont rappelant les origines du château. C’est un espace de représentation officielle.

La distribution du Louvre est déterminée par les servitudes des accès dans une ville très peuplée avec une possibilité de sortir du cadre urbain, d’où l’aménagement des jardins. Des cheminements spécifiques et particuliers sont mis en place selon les conditions sociales des gens qui veulent entrer ou sortir du Louvre.

Discussion :

Boris Bove (BB) : Cette contribution permet une remise en perspective de la situation du Louvre par rapport à Paris. Les circulations évitent la ville, comme le montre l’utilisation de l’eau ou l’entrée par l’ouest. Les murailles (ancien chemin de ronde) de Philippe-Auguste étaient utilisées pour les circulations princières à la fin du XVe siècle, comme le montre M. Whiteley. Les hôtels aristocratiques se rejoignent par l’ancienne muraille et cela évite la ville. Le roi ne prend jamais entrée de la ville, ce sont les ambassadeurs qui empruntent cette entrée. Le grand jardin est une projection végétale de la grande salle et permet de tenir des assemblées de plein air, ce qui est courant. cf. sous Philippe IV, certaines des grandes assemblées se font dans les jardins. On a également le topos de Joinville sur saint Louis qui rend la justice sous son chêne à Vincennes.

Alain Salamagne (AS) : René d’Anjou tenait des réunions dans les jardins en Provence.

BB : le goût de Charles V pour les jardins est-il quelque chose de neuf ? Est-ce une rupture par rapport à ses prédécesseurs ? C’est le premier roi citadin, mais il aime les jardins.

AS : Les sources anglaises du XIIIe siècle sont très développées sur ce fait. Le château médiéval est considéré comme une maison de plaisance, avec une ouverture sur l’extérieur. La fermeture s’observe à cause de la guerre de 100 ans en France. Charles V a connu les problèmes de la guerre et de la peste. Les jardins répondent à l’idée qu’un air pur pouvait préserver des maladies. Les élites fuyaient la ville au moment des épidémies.

BB : Cet attrait pour les jardins est paradoxal, puisque c’est le moment où les rois deviennent citadins.

AS : Vincennes est un château dans la forêt. Le Louvre est à deux pas de la campagne.

BB : Il n’y a pas d’abandon des faubourgs de Paris pendant la guerre de 100 ans. Les maisons sont ruinées, mais la reconstruction a été rapide. Paris n’a pas été assiégé pendant cette période.

AS : A Orléans, les faubourgs ont été détruits.

Caroline Bourlet (CB) : Après la grande peste, il y avait de nombreux terrains vagues, mais le réaménagement a été rapide grâce aux arrivées de population des villes alentours.

AS : Des fouilles dans les faubourgs du Mans ont permis la mise au jour des destructions.

CB : Personne n’a essayé de prendre Paris pendant la guerre de 100 ans. La densité de population était très forte au début du XIVe siècle. À l’intérieur des murailles, on peut estimer qu’il y avait 600 habitants par hectare.

AS : Dans les villes du nord, comme Arras ou Douai, les espaces vides sont nombreux (présence de terres noires). Charles V fait renforcer autour de sa personne la garde, sûrement à cause du contexte. Le château du Louvre n’est plus un château fort, mais il peut être contrôlé. C’est un espace sous surveillance. La personne du roi est mieux gardée que dans le Palais de la Cité.

CB : Charles V s’installe au début de son règne au Louvre, alors que Philippe IV résidait au Palais.

BB : Y a-t-il la présence de lices pour les tournois au niveau du Louvre ? À l’époque de François 1er, elles se trouvent au Sud du Louvre entre la muraille de la basse-cour et le château. Une poterne permet d’accéder à la Seine.

Benoît Descamps (BD) : Est-on sûr des proportions sur la peinture des frères de Limbourg ?

AS : Il y a une prise en compte de la perspective, comme pour le château de Melun-sur-Yèvre.

BB : La maquette qui est au Louvre et qui reprend cette image présente un château très haut.

AS : Les détails sont précis, avec sans doute une volonté de réalisme.

France Bourbon (FB) : mène un travail sur les quais de Paris et remarque une distorsion entre les sources iconographiques et les sources textuelles. La définition du quai est vague, et il n’est pas sûr que tous les quais soient maçonnés.

AS : Il n’a pas de quai sur la Loire sur laquelle circulent des bateaux à fond plat. Les travaux des quais dans les villes du nord (Amiens, Bruges) représentent 50% des budgets dans les comptabilités de la fin du Moyen Âge.

CB : Où habitaient les portiers, les arbalétriers, les gens du guet rencontrés dans les rôles de taille ? Ils semblent loger dans le Louvre. Vivaient-ils à l’extérieur du côté de la basse-cour ? Les rôles de taille ne disent pas où ils se trouvent.

BD : Les tours sont-elles habitables comme à Vincennes ?

AS : Ce sont des espaces accessoires.

BB : Un logement existe dans la tour du Chastel de Bois. Cf. Christine de Pizan. C’est une sorte de logement administratif.

CB : La porte Saint-Antoine (Bastille) sert à protéger Vincennes de Paris. Le roi se méfie de la ville.

AS : Les pièces d’artillerie sont tournées vers le faubourg Saint-Antoine. cf. Vauban pour Lille.


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