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Séminaire d’histoire de Paris [6] du 28 avril 2017 : « L’implication des ordres religieux »

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Compte-rendu rédigé par Marion Piecuck (Université de Versailles-Saint-Quentin)

Avant de commencer la séance, deux événements ont été annoncés :

  • L’exposition « Le gouvernement des Parisiens. Paris, ses habitants, l’Etat, une histoire partagée ». La conférence qui y est attachée est consultable en ligne (http://quefaire.paris.fr/18081/exposition-le-gouvernement-des-parisiens)
  • Le colloque international organisé par Col&mon les 10 et 12 mai 2017 à l’Université de Grenoble Alpes sur Evêques et communautés religieuses dans le royaume de France et ses marges (816-1563). Stratégies politiques, enjeux, confrontations.

Marlène Helias-Baron (IRHT) : « L’implication des moniales de Saint-Antoine-des-Champs dans la vie religieuse à Paris (XIIIe – XIVe siècles) »

Marlène Helias-Baron est ingénieur de recherches à l’IRHT. Elle a soutenu en 2005 une thèse intitulée Recherches sur la diplomatique cistercienne au XIIe siècle : La Ferté, Pontigny, Clairvaux, Morimond.

Ce travail devait au départ porter sur les XIIIe et XIVe siècles mais l’ampleur de la documentation a nécessité de resserrer la période sur le XIIIe siècle. Selon la tradition, l’abbaye de Saint-Antoine aurait été créée pour accueillir des prostituées repenties. Cet établissement est implanté sur la rive droite, sur une voie de circulation importante, peut-être à l’emplacement d’une chapelle antérieure dédiée à l’ermite Antoine. Au départ, il accueillait également des hommes – la charte de 1206 fait mention des « frères et sœurs de l’infirmerie de Saint-Antoine » – et ce jusqu’en 1227. Michael Connally suggère en 2003 dans l’ouvrage Les « bonnes femmes » de Paris : des communautés religieuses dans une société urbaine au bas Moyen Âge que l’établissement avait été originellement un hôpital. Le monastère devient cistercien en 1204 à l’instigation de l’évêque de Paris, Eudes de Sully. Une réécriture des origines a cours dès le Moyen Âge comme pour beaucoup de monastères cisterciens.

En 1204, ces moniales cisterciennes devaient avoir adopté les usages liturgiques de l’ordre mais il en est fait peu de mentions. Bien qu’elles soient cloitrées, l’abbaye est ouverte sur la ville et ses habitants. A partir de 1250, les moniales sont issues de la bourgeoisie parisienne, filles ou parentes de donateurs bourgeois ou nobles. Aucun obituaire ne semble nous être parvenu ; il a donc fallu travailler sur des actes originaux du XIIIe siècle ainsi qu’à partir de copies faites dans deux cartulaires, l’un urbain, l’autre concernant plutôt des biens extra-urbains. Les moniales de Saint-Antoine sont actrices de la vie religieuse parisienne mais sont également des consommatrices : elles ont des prêtres et des chapelains pour s’occuper de la messe. Elles dépendent de Cîteaux et de l’évêque de Paris, mais peu d’informations demeurent concernant leur vie liturgique. La majorité des archives se trouve aux Archives nationales mais quelques documents sont également à Saint-Pétersbourg depuis la fin du XVIIIe siècle : de passage à Paris pendant la Révolution, le comte Pierre Dubrowsky s’est procuré des manuscrits occidentaux dans des conditions douteuses, dont un inventaire est aujourd’hui disponible.

La dévotion à Saint Antoine : organisation et influence sur le milieu parisien

Selon l’acte de 1204, les moniales bénéficient directement de la protection de l’évêque de Paris ainsi que de l’appui du pape. La dévotion à Antoine pourrait remonter à 1180, selon Jacques du Breul et Hippolyte Bonnardot d’après un récit de miracles du XVIe siècle. Le monastère serait également un point de départ pour un pèlerinage : l’abbaye est à la fois intégrée dans le circuit des processions parisiennes mais constitue aussi un lieu de pèlerinage hors-les-murs comme Montmartre. Sept documents, délivrés entre 1207 et 1316, ont été utilisés pour ce pan de l’étude. Pour commencer, un privilège donné en 1207 par Innocent III encourage les gens à s’y rendre le lendemain de Pâques, pour obtenir la rémission de leurs péchés ; le deuxième date d’avril 1216 et émane de l’archevêque d’Embrun ainsi que des évêques de Toulouse et de Gap. Présents à Paris, ils offrent l’indulgence à ceux qui visiteraient l’abbaye et lui feraient des dons ; les trois sceaux figurent encore sur l’acte. Pourquoi ces trois évêques étaient-ils présents à Paris ? Etaient-ils venus pour le concile de Melun, organisé pour contrer les prétentions françaises à envahir l’Angleterre ? Était-ce lié à la croisade dans le Midi ? Pourquoi ont-ils donné un tel acte ? Plutôt, pourquoi les moniales l’ont-elles demandé ? L’archevêque d’Embrun avait étudié à Paris et avait également été chancelier de la cathédrale ; l’évêque de Toulouse était un ancien cistercien et un soutien de Simon de Montfort : ils sont des partisans du roi de France et du pape contre les hérétiques. Toutefois, l’organisateur du pèlerinage et du culte est bien l’évêque de Paris : en 1230, il accorde à ceux qui iront à Saint-Antoine une remise de vingt jours de pénitence, l’aumône, la rémission des pêchés ainsi qu’un pardon pour les menaces faites aux parents.

En 1232 a lieu la dédicace de l’abbaye. A cette occasion, l’évêque de Senlis rédige un acte accordant des indulgences à ceux qui s’y rendraient ; il y mentionne que d’autres évêques ont fait de même. On s’aperçoit ainsi que tout cela est finalement une entreprise de publicité instrumentalisée par l’évêque de Paris. En mai 1233, ce dernier édite un nouvel acte, invitant tous les fidèles à se rendre au monastère pour avoir la bénédiction et l’indulgence du pape ainsi que quarante jours de remise de pénitence ; l’évêque de Meaux fait de même, ainsi que d’autres évêques du Nord comme ceux de Noyon ou Chalons, proches du prélat de Paris géographiquement et politiquement parlant, puisqu’il s’agit d’évêchés régaliens. Saint-Antoine quant à elle serait passée sous protection royale peu de temps auparavant. Ainsi, tout un culte se structure : l’évêque de Paris confirme en 1316 l’existence d’une réelle dévotion en faveur de saint Antoine. Le contexte y est, si l’on peut dire, propice : les effets d’inondations et d’une famine survenus en 1315 se font encore ressentir. S’il est visible que l’on encourage les parisiens à y aller, il est difficile de se faire une idée concrète de l’affluence réelle ; le récit de Gautier Cornut, archevêque de Sens, sur la réception de la couronne d’épines indique une forte fréquentation mais il s’agit là d’une occasion exceptionnelle. Le recueil de miracles quant à lui concerne davantage l’encadrement des fidèles au milieu du XVe siècle mais il contient tout de même quelques informations concernant des célébrations lors desquelles l’établissement était fort fréquenté.

La pratique testamentaire en faveur de Saint-Antoine-des-Champs : des pratiques différenciées selon les milieux sociaux ?

Si l’on ne connait pas quelle était la fréquentation de l’établissement pour l’anniversaire de la dédicace, il semblerait que Saint-Antoine ait été à la mode au XIIIe siècle dans les milieux aristocratiques et bourgeois. Les moniales viennent de ces milieux, leurs parents sont leurs bienfaiteurs. En termes de sources, on dispose de dix-sept testaments pour le XIIIe siècle, dont quatre établis par des nobles, quatre par des bourgeois de Paris et neuf par des femmes. Ils sont destinés à Saint-Antoine dans son ensemble, en tant qu’institution et pas à une moniale en particulier. Certains sont des testaments complets et d’autres ne consignent que la clause faite pour le monastère. Les deux juridictions royales et ecclésiastiques entrent en conflit dans les premières décennies du XIVe siècle à cause des empiètements de la première sur la seconde : il semble que le maintien de la pratique testamentaire dans les officialités en soit une des conséquences.

Deux testaments peuvent être pris en exemple. Le premier, celui de Jean de Beaumont, nous est parvenu sous la forme d’un vidimus daté de 1252. De taille moyenne, il porte encore le sceau de l’official. Le testateur y demande notamment de fonder des anniversaires pour lui et sa femme dans plusieurs établissements proches géographiquement de ses domaines, ainsi qu’à Saint-Antoine, plus éloigné. Cependant Jean de Beaumont appartient à la famille Mauvoisin, une des familles de bienfaiteurs de Saint-Antoine. Le second, un original daté de 1249, est celui d’Isabelle de Beaumont, sa mère. De grand format, il a été scellé de quatre sceaux : le sien, celui de l’abbesse de Saint-Antoine, d’un chanoine, ainsi que de l’official. Ce testament, plus long que le premier, prévoit davantage de dons. A côté de ces testaments complets, une dizaine d’autres testaments ne consignent que le legs fait à Saint-Antoine.

Les fondations d’anniversaires à travers la documentation diplomatique : des traces de l’existence d’un obituaire médiéval ?

Les actes qui consignent les fondations d’anniversaires sont en l’état de la recherche au nombre de quinze. Pour treize d’entre eux,  il s’agit de donations de rentes pesant sur des maisons ou diverses possessions dans Paris ou à l’extérieur en échange de fondations d’anniversaires. Ces documents concernent autant des hommes que des femmes, des clercs que des laïcs.

Il semble finalement que Saint-Antoine-des-Champs ait été une abbaye importante, en lien étroit avec le milieu parisien. L’évêque semble avoir solidement – et durablement- établi un culte pour l’ermite Antoine, confirmé par les testaments comme les fondations d’anniversaires qui sont autant de témoins de l’intérêt des parisiens pour cet établissement.

Discussion

Caroline Bourlet (CB), concernant le pèlerinage mis en place au XIIIe siècle dont il reste des informations pour le XVIIIe siècle, se demande s’il en existe des mentions pour la période intermédiaire.

Marlène Helias-Baron (MHB) : Dans le recueil de miracles rédigé au début du XVIe siècle, nous avons quelques indications comme le montre Marie-Dorothée Durand. Elle montre qu’en 1233, lors de la dédicace, la famille royale est présente ainsi que des évêques, archevêques et de nombreux fidèles. Est-ce une tradition ? Il faudrait aller voir dans les comptes.

CB : il faudrait également s’intéresser aux textes littéraires sur les traditions historiographiques et hagiographiques de Paris.

Boris Bove (BB) : des informations pourraient exister dans les chroniques également, notamment dans la Chronique anonyme qui prend le relais chronologiquement.

Maria Gurrado (MG) : qu’en est-il dans les manuscrits liturgiques ?

MHB : je n’ai pour le moment trouvé qu’un livre d’heures, coté 472 à la Bibliothèque Mazarine.

Catherine Guyon (CG) : existe-il un rapport avec les Antonins ? Il est étonnant que ce monastère cistercien et féminin soit un lieu de pèlerinage.

MHB : s’il s’agit au début d’un hôpital, c’est déjà moins étonnant. L’abbaye est située aux portes de Paris : c’est peut-être un lieu d’arrêt.

CB : on trouve effectivement dans la documentation plusieurs mentions de processions et autres célébrations qui partaient de là, symboliquement peut-être s’agit-il d’une des portes de l’espace parisien.

BB : un peu comme Saint-Lazare au nord. Faut-il vraiment se focaliser sur le statut de cistercien ? L’abbaye ne se trouve pas dans le désert mais au bord d’une « autoroute » devant l’une des plus grandes villes du royaume : elles sont peut-être cisterciennes parce qu’à l’époque quand on fonde un ordre un peu « chic », il faut que ce soit des cisterciens. Y a-t-il également des raisons spirituelles ?

MHB : c’est l’époque où les cisterciens fondent des monastères féminins. Le problème se pose de déterminer de quel monastère ces établissements doivent dépendre. On se tourne vers les gros monastères masculins comme Cîteaux ou Pontigny, car il existe vraiment une volonté d’encadrer les moniales.

CG : existe-t-il des liens entre Saint-Antoine et Maubuisson ?

MHB : Maubuisson est une fondation royale. Si relation il y a, c’est davantage avec Porrois (Port-Royal).

Rieko Kasai (RK) : concernant la fonction hospitalière de l’abbaye, trouve-t-on dans les testaments des descriptions des structures existantes pour accueillir les malades ?

MHB : il est juste fait mention d’une infirmaria. La localisation y est propice mais on ne sait pas. Il s’agit peut-être, comme d’autres monastères cisterciens, d’un lieu d’accueil des personnes en fin de vie.

CB : passer testament devant l’officialité n’aurait-il pas à voir avec un partage de la juridiction contentieuse entre les justices royale et ecclésiastique concernant les affaires familiales ?

MHB : le colloque sur les officialités organisé en 2010 à Troyes avait exploré toutes les prérogatives conservées par les officialités ; sous Louis XIV, il leur reste finalement peu de choses.

Catherine Guyon (Université de Lorraine) : « Sainte Catherine du Val des Ecoliers et son rayonnement social, culturel et religieux à Paris aux XIVe et XVe siècles »

Catherine Guyon est maître de conférences HDR à l’université de Lorraine. Elle a soutenu en 1996 une thèse de doctorat sur L’ordre canonial du Val-des-Écoliers (1201-1539), publiée sous le titre Les Écoliers du Christ : l’ordre canonial du Val des Écoliers (1201-1539), Saint-Etienne, CERCOR, 1998. Son HDR soutenue en 2015 portait sur Hagiographie, culture et société à la fin du Moyen Âge avec un mémoire inédit : Par la roue de Sainte Catherine : dévots, pèlerins et pèlerinage de sainte Catherine d’Alexandrie (VIIIe-XVIe siècle).

Avec cette intervention, nous restons sur la rive droite de Paris, dans le quartier du Marais. Le prieuré Sainte-Catherine-de-la-Couture est un des plus importants établissements religieux de la ville mais également l’un des plus mal connus. Catherine Guyon revient ici à ses premiers travaux mais en s’intéressant davantage au culte de Catherine d’Alexandrie, très important à la fin du Moyen Âge, sur lequel portait son mémoire d’HDR.

Les difficiles conditions d’implantations du Val des Écoliers à Paris

Une charte de 1229 fonde le prieuré Sainte-Catherine de la Couture, qui est la filiale parisienne de l’ordre Val des Ecoliers. L’origine de cet ordre a fait au XVe siècle l’objet d’un récit sur parchemin conservé aux Archives départementales de Haute-Marne sous la cote 11 H 7. Ce document est orné de dessins et d’un texte qui mentionne quatre maîtres en théologie de Paris (Guillaume l’Anglais, Richard de Narcy, Evrard et Manassès) qui, avec trente-sept étudiants, décident en 1201 de se retirer en ermites, près de Chaumont-en Bassigny, sous la protection de l’évêque de Langres, Guillaume de Joinville. Les dessins montrent les Écoliers protégés par sainte Catherine, aux pieds de saint Augustin, puis présentés par saint Nicolas à la Vierge à l’Enfant.  Ces maîtres, qui sont en fait plutôt des étudiants avancés, auraient quitté Paris en réaction à l’aristotélisme de plus en plus important. Ils se situent dans la mouvance victorine : l’abbé de Saint-Victor Absalon aurait conseillé les fondateurs et le Liber ordinis sert de référence au coutumier précisant la règle de saint Augustin. Il faut attendre la fin du XVIIe siècle et le rattachement de l’ordre à la congrégation de Sainte-Geneviève pour que l’on retrace véritablement l’histoire de cette communauté. Si les fondateurs avaient voulu quitter les villes, leurs successeurs se rapprochent de Paris en suivant la route des foires de Champagne avec, en 1215, l’implantation de Notre-Dame de Belroy près de Bar-sur-Aube, et, en 1222, de Notre-Dame en l’Ile à Troyes : c’est Manassès prieur de Troyes qui implante la filiale parisienne en 1229. Cette fondation parisienne est rappelée dans la première partie de l’obituaire, datant du XIIIe siècle. A l’origine, la vocation de l’établissement est surtout commémorative : les Écoliers doivent prier pour les rois Philippe Auguste et Louis VIII et en remerciement de la victoire de Bouvines. Il n’est guère fait au départ état de sainte Catherine. Le premier terrain de la communauté, composé de trois arpents près de la porte Baudoyer, est donné par un bourgeois de Paris, Nicolas Giboin, grâce à l’intervention des Templiers et notamment de Jean de Milly, chevalier et trésorier du Temple. D’autres frères du Temple participent activement à la construction des bâtiments. Peu à peu, les Écoliers acquièrent une série de parcelles entre 1235 et 1287 pour se constituer une couture de quatorze hectares. Celle-ci est en grande partie cultivée, et n’est pas lotie avant 1545. Les Écoliers s’implantent sur la censive du Temple, mais aussi sur celle de Saint-Victor. A cette époque, le Marais est encore rural mais se peuple progressivement : les Carmes, les Béguines notamment s’y installent, de même que des résidences aristocratiques (hôtel du roi de Sicile). La communauté fait face à quelques difficultés, notamment à l’hostilité de la paroisse Saint-Paul et de l’évêque de Paris Guillaume d’Auvergne, probablement pour protéger la paroisse mais peut-être également parce que le prélat soutient les dominicains. Les Écoliers font alors directement appel au pape Grégoire IX, qui les prend sous sa protection par une bulle publiée en 1229 et, en septembre de la même année, l’évêque autorise le prieuré à s’établir. Des restrictions sont malgré tout imposées pour l’administration des sacrements, pour la sonnerie des cloches, la présence de chapelles dans l’église, les sépultures ou encore les sermons, même si quelques exceptions sont autorisées pour la fête de sainte Catherine. Leurs statuts sont en partie calqués sur ceux des Victorins, ainsi que sur ceux des Dominicains en ce qui concerne la prédication.

Le vocable à sainte Catherine n’est pas fortuit : cette vierge martyre du IVe siècle voit son culte se développer en Occident à partir du XIIsiècle dans les milieux des « intellectuels » et des théologiens. Pourtant aucun universitaire n’est présent à la fondation et aucun ne figure parmi les bienfaiteurs jusqu’au milieu du XIIIe siècle. Cette fondation se fait d’ailleurs en pleine grève universitaire (1229-1231) ; les Écoliers s’installent à l’écart du quartier latin alors que les Jacobins, les Mathurins, les Prémontrés ou encore les Cisterciens s’y implantent dès la première moitié du siècle ; ils se mettent ainsi à l’écart du quartier « intellectuel ». En 1250 toutefois, ils reçoivent de Brice, curé de saint-Seine dans le diocèse de Langres deux maisons derrière Saint-Etienne-des-Grès, sur la rive gauche, pratiquement en face du couvent jacobin. Ces bâtiments abritent sûrement le collège de l’ordre car apparait vite dans la documentation un studium.

Les liens avec l’Université

En février 1254, figure la première mention d’un collège et en 1259 d’un premier maître en théologie Evrard de Voulaines, titulaire de l’une des 12 chaires de Paris, contemporain de Thomas d’Aquin ou de Bonaventure. Une bulle de Jean XXII de 1319 fait état de ce studium de douze frères – c’est un petit collège. Les Écoliers apparaissent dès lors parmi les réguliers de l’Université ce qui leur vaut les félicitations du pape. Ils sont cependant égratignés par Rutebeuf qui leur reproche de s’enrichir par le biais d’aumônes et de revenus fonciers. Ils possèdent aussi une bibliothèque de trois cent volumes en 1288. A titre de comparaison tout de même, la Sorbonne en possède plus de 1000 en 1290. Seul dix titres sont connus dont la Somme théologique, après sa condamnation : les Écoliers se sont-ils convertis à l’aristotélisme ? Les titulaires de chaires (Grégoire de Bourgogne, Gilles de Montmirail, Laurent de Poulangy, Jean de Châtillon, Pierre de Verbérie, Henri de Crémone…) obtiennent d’importantes fonctions dans l’Ordre. Ils se font surtout connaitre par des prédications, dans le couvent parisien et dans son voisinage : au Temple, au Béguinage, dans l’église Saint-Paul avec laquelle les relations se sont apaisées, dans les collèges réguliers de la rive gauche et le plus souvent lors des grandes fêtes de l’année liturgique (souvent à  Pâques) et lors de fêtes de saints, comme en témoigne la Summa de festis d’Evrard de Voulaines qui recense 150 sermons. Cet ouvrage a eu un certain rayonnement : on en conserve aujourd’hui une vingtaine de manuscrits. Les Écoliers sont les auteurs de quelques traités, ils participent à des commissions ainsi qu’à des procès comme celui des Templiers ou celui de Marguerite Porete. Après 1400, l’on ne trouve plus de traces ni de la chaire, ni du collège dont les bâtiments sont vendus en 1425. Les étudiants fréquentent d’autres collèges parisiens, notamment séculiers (Sorbonne, Navarre, Boncourt, Cholet…) où ils obtiennent des grades (Jean Maupoint, Nicolas Desmarets, Jean Nervet, Jean Perrot…). Certains prêchent dans Paris, mais ils sont moins nombreux et ne siègent plus dans les grands procès de la fin du Moyen Âge, celui de Jeanne d’Arc par exemple, pas plus qu’ils ne sont impliqués dans les débats universitaires. Il apparait que les Écoliers savent se faire oublier quand le contexte est tendu ; ils s’investissent cependant à cette période dans le service de la cour.

Des liens entretenus avec la cour, jusqu’à une véritable symbiose

Le couvent entretient des relations étroites avec le milieu royal dès le XIIIe siècle. Les Écoliers sont proches de Blanche de Castille qui finance la construction de leur église, de Louis IX également qui les charge de certaines des enquêtes dans le sud du royaume ; ses enfants et son frère Alphonse de Poitiers font également des dons. Les Écoliers (Milon de Chastenay, Jean des Granges et Guy de Laon notamment) exercent aussi la fonction d’aumôniers des reines pendant près de 50 ans (1278-1324). À partir de 1308 (chute des Templiers) jusqu’en 1321, ils sont également aumôniers des rois (Jean des Granges, Jean de Grandpré), charge qu’ils perdent à fin des Capétiens direct, soit à la mort de Charles IV. Mais en 1358, après l’épisode d’Etienne Marcel, Charles V décide de s’éloigner de l’Île de la Cité pour pouvoir fuir en cas de danger et s’installe à l’Hôtel Saint-Paul, à côté de de l’église de ce nom, en face de Sainte-Catherine du Val-des-Écoliers. C’est également à proximité que s’installeront par la suite l’hôtel des Tournelles et l’hôtel d’Angoulême : le couvent eut ainsi la chance incroyable d’être pendant deux siècles dans le voisinage de la famille royale. Charles V assiste à des messes dans le prieuré, il fait des dons et, en 1378 quand il perd son épouse qui meurt en donnant naissance à une petite fille, il donne à celle-ci le prénom de Catherine, alors peu attesté dans la famille royale, même s’il apparait au début du XIVe siècle chez les Valois. De surcroit, le parrain est le prieur du couvent, Rohart d’Estaing. Isabeau de Bavière et Charles VI (qui charge le sous prieur de transporter à Sainte-Catherine du Sinaï un magnifique calice) et Charles VII fréquentent également cet établissement, et plus encore Louis XI qui y fait célébrer des cérémonies importantes. Les Écoliers sont « à la mode » chez les membres de la cour : le terrier du prieuré de 1461 donne une idée de l’entourage du couvent, composé de familles attirées par la proximité du roi. Le prieuré profite ainsi de dons, de fondations de messes, de chapelles etc. Sans en avoir le titre officiel, Sainte-Catherine fait office de chapelle royale et de nécropole de la cour.

Un lieu de culte et de processions parisien à la fin du Moyen Âge et au début de l’époque moderne

En 1375, Charles V marque un changement important : il offre au couvent un précieux bras reliquaire de Catherine d’Alexandrie dont Nicolas Quesnel donne au XVIIe siècle une description et établit officiellement la confrérie des sergents d’armes du roi sous le vocable de la martyre d’Alexandrie. Les statuts sont à nouveau confirmés par Charles VI, qui insiste davantage sur la dévotion à saint Louis auquel est attribué ce prieuré et il est fait mention pour la première fois d’un vœu formulé à la bataille de Bouvines, lié à sainte Catherine et rappelé sur les plaques apposées à l’entrée de l’église (transportées ensuite à Saint-Denis et aujourd’hui au Musée Carnavalet). Les sergents du roi semblent en tous cas attachés à ce prieuré, ils font des donations et beaucoup y sont inhumés. L’église est embellie grâce à de nombreux dons et au XVe siècle ; elle devient le troisième lieu de procession de Paris après la Sainte Chapelle et Notre-Dame comme le révèlent les sources sont surtout narratives. Les célébrations sont accompagnées d’ostensions de reliques, de prédications, de mystères joués aux portes du prieuré. Ces cérémonies ont pour but de prier pour la santé du roi, la fin du schisme ou la prospérité du royaume.  L’apogée est à situer au XVe et au début du XVIe siècle, au cours desquels le couvent est particulièrement fréquenté par les princes ainsi que par le parlement et l’université. Sainte-Catherine est ainsi devenue un des principaux lieux de culte de Paris, autour de sainte Catherine d’Alexandrie, et il y a tout lieu de penser qu’un miracle s’y est déroulé : un jeune étudiant qui avait l’habitude de prier régulièrement dans ce prieuré offre à la statue de la sainte une bague de fiançailles, et le doigt de la statue se serait avancé avant de se refermer sur l’offrande. Mais outre sainte Catherine et l’évocation du Sinaï, le prieuré fait aussi office de relais de l’Orient par la présence de répliques des grottes de Bethléem et du Saint-Sépulcre dont la fréquentation est encouragée par l’octroi d’indulgences.

Sainte-Catherine du Val des Écoliers s’étiole malgré tout au milieu du XVIe siècle et, en 1559, la mort d’Henri II marque un coup d’arrêt définitif, puisqu’elle entraine le départ de la cour pour le Louvre. En 1629, le prieuré est rattaché à Sainte-Geneviève et son église est détruite en 1783, laissant place au marché Sainte-Catherine. Bien que le vocable des commerces et des rues ou la présence d’une statue de sainte Catherine (XIXe siècle) dans la Marais fassent encore référence aujourd’hui à ce prieuré, cet héritage est bien modeste par rapport au poids qu’il avait dans la vie intellectuelle, culturelle et sociale de Paris à la fin du Moyen Âge.

Discussion

CB : j’ai été frappée au cours de mes recherches par le fait que parmi les exécuteurs testamentaires, il est souvent question du prieur du Val-des-Écoliers. Existe-t-il une raison particulière ? On comprend quand ce sont des universitaires, mais c’est peut-être ici une marque de l’importance de ce lieu pour les parisiens ?

MHB : l’abbesse de Saint-Antoine était aussi exécuteur testamentaire.

CG : les Victorins étaient des confesseurs réputés, les Écoliers l’étaient peut-être aussi. Ils pouvaient confesser in articulo mortis : la charte de 1229 le leur permet. C’est en tous cas un témoignage de la confiance qu’on leur accordait. Ils font partie des exécuteurs testamentaires des grandes familles, mais ils le sont aussi de gens moins importants, moins faciles à appréhender dans les archives (en dehors de celles du prieuré).

BB : concernant la prédication, existe-t-il des autorisations, qui décide, et pourquoi eux ?

CG : il y a manifestement une demande. Ils prêchent plutôt chez les réguliers, les séculiers semblent moins nombreux à les solliciter, même si quelques paroisses se trouvent parmi leurs lieux de prêche. Tout cela suppose des relations personnelles avec les réguliers ; pour les séculiers il faut une autorisation du clergé de la paroisse et de l’évêque.

BB : concernant la couture, comment est-elle cultivée ? Les produits sont-ils commercialisés ?

CG : je n’en ai beaucoup pas de trace. La question de l’exploitation de la couture apparait assez peu dans les documents. Le secteur est propice aux cultures céréalières, mais aussi maraîchères mais l’on ne voit pas grand-chose dans les sources comptables, on ne trouve par exemple pas trace de commercialisation. On sait que les Ecoliers avaient des granges dans l’ensemble de leurs maisons, ils s’inspirent des Cisterciens dans ce domaine. Les archives parisiennes s’étendent plutôt sur les domaines ruraux, notamment à Orsay (la plus importante grange). Il semblerait que la couture ait été un peu délaissée avec la conjoncture difficile de la fin du Moyen Âge. Ce sont les difficultés financières du prieuré qui ont contraints les religieux à la lotir en 1545.

Maria Amelia Campos (MAC) : qu’en est-il de l’obituaire que vous avez mentionné ?

CG : il est complété jusqu’au XIVe siècle mais pas davantage. On y trouve des noms d’habitants du quartier, des religieux, des chanoines séculiers aussi. Ces liens avec les Templiers sont importants, ceci d’autant que l’on n’observe pas dans les autres filiales. Existait-il des liens interpersonnels ? Et si oui, où faut-il les chercher ? Du côté de la Champagne ? Ces relations sont aussi à envisager sous l’angle financier : le Val des Écoliers qui veut s’établir à Paris a besoin d’argent et le Temple est très riche…

Geneviève Etienne (GE) : cela pose aussi la question du réseau paroissial : quelles ont pu être leurs relations avec le couvent ?

CG : La charte de 1229 recommande la fermeture des portes des églises et chapelles de l’église avant que la messe ne commence à Saint-Paul, pour obliger les fidèles à venir dans leur paroisse. Mais il semblerait que les relations se soient ensuite apaisées.

Prochaine séance : le vendredi 19 mai 2017

Séminaire Histoire de Paris [6]_20170428


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