Le cycle du séminaire d’Histoire de Paris au Moyen Âge des deux années prochaines, à savoir les années 2016-2017 et 2017-2018, sera consacré aux pratiques religieuses des Parisiens.
Introduction par Anne Massoni et Hélène Noizet
- Définition de la thématique
Le thème choisi pour les deux années à venir concerne les pratiques de la religion vécue, dans la continuité des travaux de Jean Delumeau, Jacques Chiffoleau et André Vauchez, selon notamment les études offertes à ce dernier par ses élèves en 2012 (D. Rigaux, D. Russo et C. Vincent (éd.), Expériences religieuses et chemins de perfection dans l’Occident médiéval. Études offertes à André Vauchez par ses élèves, Paris, 2012). Seront en fait étudiées les inclinations de la piété des Parisiens, des manifestations et des gestes de la piété sur les XIIIe et XVe siècles. Dans ces conditions, il apparaît que ce sont des pratiques variées, encadrées par l’Église pour la plupart d’entre elles, mais aussi qui peuvent être également spontanées ou plutôt suscitées par les laïcs.
Dans ce cadre, devra d’abord être étudié le culte des saints pour savoir quels saints sont honorés à Paris. Dans quelles conditions et comment ? Quelles sont les fêtes liturgiques ? Il conviendra également de se pencher sur les formes paraliturgiques de la dévotion. Seront également abordées toutes les manifestations en marge des cadres stricts de l’Église, à savoir les formes de vie religieuses mais marginales, comme les béguines, mais aussi les manifestations de croyances non-orthodoxes (mélanges des croyances, superstitions), ainsi que les formes de contestations des normes établies, sur le plan théologique (hérésie) et ecclésiologique, et, par conséquent, la lutte de l’Église contre elles.
Les pratiques des Parisiens concernent avant tout les laïcs (ceux que l’on appréhende avec le plus de difficulté), les élites (les pratiques religieuses du peuple ne sont pas connues), la communauté juive de Paris, les nombreuses communautés religieuses (notamment les religieux comme acteurs de leur vie religieuse et comme encadrants des laïcs), les clergés paroissiaux. Ne seront néanmoins pas oubliées les grandes figures d’autorité spirituelle.
Ce thème participe bien du grand chantier de la connaissance de la population parisienne entrepris par le groupe de travail sur Paris au Moyen Âge.
Paris, c’est d’abord l’espace parisien, avec une interrogation sur l’investissement de l’espace par des usages religieux à l’intérieur et l’extérieur des édifices (il faudra se pencher sur les notions de cercle sacré et d’immunité). Une des questions sous-jacentes est celle de l’espace sonore de Paris (notamment avec l’emprise du son des cloches). Il s’agira de savoir quel est le temps religieux à Paris.
- Bilan historiographique (voir bibliographie)
Dans quelle mesure retrouvons-nous chez les Parisiens les traits observés ailleurs ? Sont-ils obsédés par la mort ? Ont-ils des formes stéréotypées de piété ou de pratiques religieuses ? Quelle est la spécificité des élites parisiennes par rapport au reste de la population, notamment du point de vue du mécénat religieux ? Les laïcs, instruits, n’ont-ils pas pris en main leurs pratiques religieuses de manière autonome plus tôt qu’ailleurs ? Avons-nous des pratiques spirituelles différentes selon les statuts ? Peut-on parler à Paris de « religion civique » ? Y a-t-il une mémoire qui se cristallise autour d’un certain nombre de saints ?
L’historiographie religieuse de Paris a fait l’objet d’une production foisonnante depuis 10 ans. C’est une historiographie à la fois dynamique et internationale, avec six champs d’étude largement travaillés :
- La communauté juive de Paris (caractéristiques de ses composantes, conflits avec les chrétiens en particulier au XIIIe siècle avec le pouvoir royal) ;
- Les institutions religieuses de Paris : cf. Atlas de Paris au Moyen Âge (2006).
- Les institutions séculières (18 collégiales à Paris) :
- la cathédrale (évêque et chapitre), avec C. Gauvard, Notre-Dame de Paris (2006), sa liturgie et sa musique. Il faut voir les Mélanges offerts à H. Millet et le colloque pour les 850 ans de la cathédrale (2013) ;
- la Sainte-Chapelle (colloque 2007), Meredith Cohen (architecture royale), ANR les saintes chapelles (expression artistique), E. Anheim ;
- chapitre de Saint-Germain l’Auxerrois (A. Massoni, La collégiale Saint-Germain l’Auxerrois de Paris (1380-1510), Limoges, 2009).
- Les institutions monastiques :
- Saint-Martin-des-Champs (C. Denoël pour la bibliothèque, Ph. Plagnieux, A. Mercier) ;
- Saint-Germain-des-Prés (Roland Recht, Michel Zink (dir.), Saint-Germain-des-Prés. Mille ans d’une abbaye à Paris, Paris, 2015).
- Institutions de réguliers : Saint-Victor (bibliothèque, modèle liturgique, sanctoral de Saint-Victor avec le colloque sur le nécrologe de Saint-Victor) ; Sainte-Geneviève (chartes jusqu’en 1200 par N. Escher).
- Couvents mendiants (histoire intellectuelle).
- Les institutions scolaires. Il est difficile de partager entre histoire intellectuelle et religieuse. On trouve de nombreux travaux sur les collèges réguliers (Bernardins), des études sur des figures d’encadrement : les maîtres de la spiritualité dans leur activité pastorale (cf. Guillaume d’Auvergne, Jean Gerson, Pierre Plaoul) ou les maîtres dans leur fonction de directeur de conscience (auprès des béguines), ainsi que les Mendiants (Eustache d’Arras, maître franciscain ou Pierre d’Auvergne).
- La mémoire de la cité (saints fondateurs et pèlerinages) : saint Aure, saint Fiacre, le chef de saint Denis (C. Gauvard), les saints de l’Université (J. Verger), les reliques de la Sainte-Chapelle (cf. colloque sur saint Louis). Les processions : Notre-Dame, Sainte-Geneviève.
- Les œuvres de charité, notamment des travaux sur l’hôtel-Dieu par C. Jéhanno, sur les Quinze-Vingt (obituaire et prise en charge des aveugles), ainsi qu’une étude sur les prostituées (soin pastoral des prostituées).
- Les contestations et les rébellions. On a des études sur la présence des béguines à Paris (T. Stabler Miller), sur les abbesses enceintes à Paris (2008), sur les pratiques magiques (J.-P. Boudet, 2010), sur Marguerite Porete, sur les institutions de justice saisies pour hérésie : Templiers (2014), les hérésies du début du XVIe siècle et les cas examinés par l’officialité parisienne (cf. O. Guyotjeannin, 2014)
- Les institutions séculières (18 collégiales à Paris) :
Toutefois, dans cette historiographie récente, il n’y a pas grand-chose sur les pratiques religieuses des Parisiens, si ce n’est quelques éléments sur les études testamentaires (2012), notamment O. Guyotjeannin qui a travaillé sur les testaments de deux Bretons. Ont été également étudiées les donations faites aux Célestins (2008), ainsi que les modalités de la transmission de la foi par les nobles.
- Présentation du programme en contexte
Le programme de l’année 2016-2017 a été construit autour de quatre thèmes principaux :
- le monde de l’Université. Comme Paris est une ville universitaire de premier rang, ce thème sera traité en premier le 9 décembre 2016 par Bénédicte Sère et Antoine Destemberg.
- Les confréries et les fabriques. Il s’agit de formes d’encadrement peu traitées depuis une dizaine d’années. Les fabriques sont peu connues pour le Moyen Âge. En effet, il s’agira de savoir qui sont les marguilliers, notamment à partir d’un manuel de 1488. Comment se répartissent les fonctions entre eux et le clergé ? Deux séances seront consacrées à ce sujet les 31 mars et 19 mai 2017 avec les contributions de Rieko Kasaï, Syvie Claus, Anne Massoni, Nicolas Lyon-Caen et Laurence Croq.
- Les institutions religieuses, d’abord les chanoines de Notre-Dame de Paris à travers les registres capitulaires, le 13 janvier 2017 (Véronique Julerot et Eliane Carouge) ; puis les institutions régulières le 28 avril 2017, à savoir les chanoines du Val des Écoliers et les religieuses de Saint-Antoine-des-Champs (par Catherine Guyon et Marlène Helias-Baron).
- La communauté juive de Paris, notamment les lieux où elle est implantée et les rites suivis, ainsi que la querelle autour du Talmud sous Louis IX. Ce thème sera abordé le 24 février 2017 par Sonia Fellous et Claire Soussen-Max.
- Pistes pour l’année 2017-2018
Sont prévues des séances sur la Sainte-Chapelle avec Meredith Cohen et Etienne Anheim, sur les processions et le culte de Sainte-Geneviève, sur les figures de prédicateurs, notamment autour des béguines et sur les pratiques du mécénat religieux.
Hélène Noizet, « Conflits d’usage du cloître Notre-Dame au XIIe siècle »
Le cloître Notre-Dame est une institution essentielle dans l’espace parisien. L’étude portera sur six actes délivrés au début du XIIe siècle qui concernent un conflit autour du cloître mettant en scène trois acteurs : le roi, l’évêque de Paris et les chanoines. Il s’agit de l’immunité du cloître et de sa renégociation, ainsi que des usages concurrentiels de cet espace.
La première mention du cloître apparaît dans un diplôme de Charles le Simple de 911 qui confirme deux diplômes antérieurs. Il garantit des droits aux chanoines (possibilité de construire, d’avoir et de posséder des maisons qui forment pour certaines des « cohabitations », possibilité de les vendre et de les concéder entre eux). C’est une reprise de la réforme carolingienne qui établit pour le régime canonial une règle de vie à partir de celle de Chrodegang de Metz. Les chanoines ont la possibilité de disposer de maisons personnelles contrairement aux moines astreints à la vie commune.
À cette époque, le cloître est compris dans l’enceinte romaine à côté de la cathédrale, de l’église Saint-Étienne et du baptistère Saint-Jean-Le-Rond. Derrière l’appellation de cloître Notre-Dame, il y a eu des modifications et des extensions vers l’est et le sud. Le cloître n’a pas la même emprise au sol durant toute la période : il couvre 1,5 ha au départ et 3 ha à la Révolution. Le cloître appartient à la seigneurie du chapitre Notre-Dame (le partage des revenus entre mense épiscopale et mense capitulaire a eu lieu en 829). La censive du chapitre en 829 est un patrimoine essentiellement francilien.
Cette institution du temporel réservée au chapitre a été confirmée à plusieurs reprises. À Paris, cette censive comprend quelques parcelles sur les deux rives, l’île Notre-Dame (île Saint-Louis), la partie orientale de l’île de la Cité avec le cloître. Les chanoines ont l’usage de la cathédrale de manière concurrentielle avec l’évêque. Le chapitre dispose de la juridiction contentieuse, comme le rappelle une bulle de 980 (forgée au XIe siècle). Le régime de liberté du cloître est extrêmement vivant et efficace jusqu’à la fin de l’Ancien régime. Les chanoines disposent jusqu’à la Révolution de la haute, moyenne et basse justice.
Dans quelle mesure, le cloître correspond-il à l’enclos ?
Dès le diplôme de 911, il est indiqué que les maisons des chanoines peuvent se trouver à l’intérieur ou à l’extérieur du cloître. Il est donc question de l’extension du cloître en dehors de l’enclos. Le conflit qui commence avec l’affaire du chanoine Durand en 1105, provoque en 1120, l’extension de l’immunité du cloître par Louis VI.
En 1105, un diplôme de Philippe 1er indique que des hommes, à savoir Durand et ses fils, veulent construire des maisons sur le mur du cloître. Le doyen du chapitre (Bernier) vient se plaindre auprès du roi. Le roi condamne et rappelle qu’il est interdit de construire dans le cloître et autour. On apprend par la suite que Durand est un chanoine. C’est une querelle qui n’a pas été résolue en interne. Néanmoins, le chanoine Durand a construit sa maison. Une notice de mars 1115 du doyen Bernier et du chapitre explique en effet que Louis VI a fait amende honorable après avoir détruit la maison de Durand. En effet, l’évêque n’était pas d’accord et le chapitre non plus en vertu des privilèges du chapitre. Le roi est dans son tort. Les maisons des chanoines à l’extérieur comme à l’intérieur doivent rester libres de toute intervention extérieure. On évoque la parcelle de la maison (particula). Le diplôme de Charles le simple de 911 mentionnait que les maisons des chanoines pouvaient être à l’intérieur et/ou à l’extérieur du cloître. Il est nécessaire de réactualiser cet écrit. Pour le roi, le mur du cloître doit être libre de maison.
En 1120, un nouvel acte de Louis VI étend l’immunité du cloître. Il confirme le diplôme de 911 avec un développement sur des maisons de chanoines construites à proximité de la cathédrale, au sud du cloître. L’immunité du cloître est confirmée et étendue aux maisons à l’extérieur jusqu’à la Seine. C’est une extension progressive à comparer à celle de la justice du chapitre. Au-delà du cloître, il y a deux 2 espaces : un secteur situé devant Saint-Christophe et une autre partie située au sud du cloître autour de la cathédrale et de l’hôtel-Dieu. Cette affaire montre l’efficacité des chanoines qui se retrouvent légitimés dans la reconnaissance de leurs droits en 1115, à travers un rapport de force avec le roi.
Le mot « claustrum » perd son sens uniquement topographique. Un autre acte de Louis VI concerne le droit de voierie de l’évêque qui rappelle le tracé du cloître, avec une focalisation sur qui a le droit de faire quoi.
L’extension géographique s’accompagne de la construction de nouvelles structures sur le mur du cloître, comme la chapelle de Saint-Aignan (1119-1121) construite par le doyen, Étienne de Garlande, le long de ses propres maisons.
Ainsi, l’affaire avait commencé par la contestation par les chanoines de la construction de maisons le long du mur et se termine par l’extension de leurs privilèges et la construction de nouveaux édifices le long du mur.
Discussion
Caroline Bourlet (CB) : Le doyen a-t-il fait percer le mur pour pouvoir circuler de sa maison jusque dans la chapelle Saint-Aignan ?
Marlène Helias-Baron (MHB) : Quelle est la tradition de la notice de 1115 ?
Hélène Noizet (HN) : La notice est conservée en original.
Anne Massoni (AM) : Dans cette affaire, apparaît un cloître qui a des chanoines qui vivent en dehors. Qui vit dans le cloître ? Louis VI enfant a grandi en partie dans le cloître Notre-Dame. Au début du XIIe siècle, les chanoines sont mariés, ont des serviteurs.
CB : Il y a également des artisans. Il y a des laïcs qui vivent dans les cloîtres.
AM : C’est un cloître, car c’est un espace distingué.
Simone Roux (SR) : Pour vivre dans un cloître, il faut respecter une certaine respectabilité.
Boris Bove (BB) se pose la question de la présence des fils du chanoine Durand.
AM : au début du XIIe siècle, les chanoines sont mariés. Les maisons abritent des familles. Les « cohabitationes » forment l’enceinte. Le basculement pour les chanoines apparaît au milieu du XIIe siècle.
Darwin Smith (DS) évoque l’existence d’un chanoine marié au XIVe siècle.
AM : Il s’agit probablement d’un clerc mineur. Reste néanmoins le problème de la présence de femmes dans le cloître après le XIIe siècle.
Isabelle Vérité (IV) : Combien d’entrées dans le cloître Notre-Dame ?
HN : il y en a 4.
DS : Le cloître est fermé. L’évêque a une clé pour se rendre à St-Denis-du-Pas.
AM : il faut distinguer le cloître monastique et le cloître canonial. Le « claustrum » est fait par les maisons. C’est plutôt un enclos. Le chanoine n’est pas tenu par la clôture. L’enclos est fait par un ensemble de maisons. C’est fermé la nuit, avec un couvre-feu et des portiers.
CB : cartographie du cloître Saint-Germain l’Auxerrois ? Ce sont des parcelles topographiques qui se suivent.
AM : ce cloître est habité par tout le monde. Pas de composition sociologique stricte. Les chanoines peuvent louer les maisons, qui restent propriété canoniale.
CB remarque due les rôles de tailles ne contiennent pas de contribuables dans le cloître Notre-Dame.
AM : Il est possible que les habitants du cloître Notre-Dame bénéficient des mêmes privilèges que les chanoines. Cf. à Chartres. Les cloîtres sont aussi des lieux d’inhumation.
DS : au XVe siècle, il y a une demande forte pour les maisons canoniales. 50 chanoines pour 30 maisons. Ils ont de nombreux locataires chez eux, notamment des étudiants.
AM : présence de boulangers dans le cloître.
CB : les artisans de l’évêque habitaient sans doute dans le cloître.
Caroline Bourlet, « Habitat bourgeois, habitat universitaire sur la rive gauche au début du XIVe siècle d’après les sources fiscales »
Davide Gherdevich et Anne Tournieroux ont incité Caroline Bourlet à superposer les contribuables des rôles de taille avec ceux des sources fiscales universitaires. Pour ce dernier cas, ont été utilisées pour cette contribution des documents datant de 1329-1330.
Les rôles de tailles consignent 1615 contribuables en 1299 (dont 1597 sont localisables) et 1328 (dont 1306 localisables) en 1300. En admettant que chaque feu compte en moyenne 4 personnes et que seuls 30% des chefs de famille payent l’impôt, cela correspondrait à 18 ou 20 000 personnes. Pour les universitaires, la question est controversée. Pour 1330, à partir des listes fiscales de 1329-1330, W. Courtenay (Parisians scholars) estime qu’il y aurait entre 3300 et 3500 universitaires, alors que J. Verger considère qu’il pourrait y en avoir 3000 à la fin du XIIIe siècle (Culture, enseignement et société). Ils sont essentiellement localisés sur la rive gauche, même s’il y a pour eux d’autres lieux de résidence, notamment l’île de la Cité et Saint-Germain l’Auxerrois.
Comment s’articulent spatialement ces deux composantes sociales sur la rive gauche ? Est-il possible de préciser les lieux d’habitation des bourgeois et des universitaires ?
Carte 1 : Emprise spatiale des bourgeois sur la rive gauche
Concernant l’emprise spatiale des bourgeois (cf. carte 1), localisable à partir des rôles de taille de 1299 et 1300, les densités sont plus fortes sur les grands axes partant des portes de la ville, à savoir les rues Saint-Jacques, de la Harpe, de la Montagne-Sainte-Geneviève, mais aussi les rues Saint-Victor et Saint-Germain. Ils sont nombreux au nord de la zone centrale formée par les rues de la Harpe et Saint-Jacques, mais aussi autour du marché de la Place Maubert. Ils sont absents de certaines rues (rues des Bernardins, aux Hoirs de Sorbonne, des Maçons, Cour de Rouen). On ne les trouve pas aux abords de la porte Saint-Germain, autour de l’abbaye Sainte-Geneviève.
Concernant les maîtres et étudiants, leur localisation est possible d’après la liste de 1329-1330 (puisqu’il n’y a pas de documents disponibles pour l’année 1300). Les universitaires sont exemptés de l’impôt royal, mais ils sont soumis à des collectes perçues par l’Université. C’est le cas du document de 1329-1330. La liste est en deux parties rédigées par deux mains différentes. La première partie est construite rue par rue selon un itinéraire probable et recense près de 1500 personnes ; la seconde partie en recense encore près de 600 mais elle donne uniquement les noms de maîtres et le nombre de leurs socii mais ne les localise pas. Seule la première partie peut donc être utilisée ici (carte 2).
Carte 2 : Localisation des maîtres et de leurs socii d’après la liste de 1329-1330
Les universitaires ne sont pas absents de la partie centrale de la rive gauche très densément peuplée dès la fin du XIIIe siècle mais ils investissent essentiellement les rues proches des collèges, que le manque de place a rejeté, comme les grands hôtels aristocratiques, aux marges de la ville à proximité des murs : à savoir le sud de la rue Saint-Jacques (à partir de Saint-Benoît le Bestourné), le sud de la rue de la Harpe (82 mentions), autour des collèges d’Harcourt, du Trésorier, de Cluny, de Sorbonne, de Bayeux ou de Narbonne, la rue Jean de Beauvais (66) ou encore la rue Judas (58). Reste néanmoins le problème du manque d’information pour certaines rues vierges de toutes mentions de maîtres et d’étudiants. Il est possible que l’information manque. Par ailleurs, si tous les universitaires sont tenus de participer à la collecte, seuls 20% d’entre eux sont inscrits individuellement et contribuent pour eux-mêmes. La plupart des étudiants vit en communauté, soit dans un collège, soit avec un maître, soit avec d’autres étudiants. Ils sont alors considérés comme associés (socii). Dans ce cas, le compte indique le nombre de socii, ce qui permet de connaître le nombre d’universitaires logés ensemble. Les 403 points de la carte rassemblent en fait 1500 personnes.
Carte 3 : Superposition des informations contenues dans les cartes 1 et 2
En superposant les cartes 1 et 2 (carte 3) et en tenant compte du fait que l’habitat étudiant nous échappe en partie, il apparaît que les étudiants côtoient les bourgeois dans les mêmes rues et que les rues désertées par les uns, le sont aussi par les autres. Il faut de toute façon se rappeler que la population bourgeoise est 5 à 6 fois plus nombreuse que les universitaires.
En marge des sources fiscales universitaires et témoignant que celles-ci ne donnent pas une vision complète de l’implantation universitaire sur la rive gauche de Paris, un censier de Sainte-Geneviève (1343) mentionne des écoles dans la rue au Feurre, alors qu’aucun universitaire n’y est taxé en 1330. Sont ainsi listées 7 écoles pour cette rue. Pourquoi ces écoles ne sont-elles pas mentionnées en 1329 ? Il faudrait faire une vérification avec la liste des noms non localisés de 1330. À quel type d’écoles a-t-on affaire ? Il existe en effet une myriade d’écoles qui préparent à l’entrée dans les facultés supérieures qui peuvent être tenues par un maître.
En conclusion rapide, on remarque ainsi une certaine mixité sociale sur la rive gauche. Les bourgeois sont plus nombreux que les universitaires, mais leurs activités sont liées à l’Université. 17% des bourgeois sur la rive gauche sont taverniers, contre 8% sur la rive droite et dans l’île de la Cité. On trouve également de nombreux fabricants de petits pâtés, mais pas de boulangers la sur rive gauche (présents sur l’île de la Cité). Pour les habitants de la rive gauche, l’île de la Cité est proche.
Discussion
HN remarque que pour CB, la mixité l’emporte sur une implantation exclusive.
CB : Il faudrait étudier davantage les censiers à la recherche de mentions d’écoles. La règle est la cohabitation des bourgeois, des maîtres et des écoles. Dans la rue Judas, on trouve plus de 100 universitaires, mais aussi quelques bouchers. En revanche pour la rue Clopin où il y a plus de 100 étudiants, c’est à proximité du collège de Navarre.
SR : Il faudrait connaître la taille des maisons. Les étudiants peuvent prendre pension sans que la maison soit tenue par un maître.
CB : Dans la liste de 1329, il y a des individus vivant seuls ou à deux, sans lien hiérarchique entre eux.
SR : Dans la liste des maisons pour la taxation des loyers, l’habitat étudiant est composé d’une ou deux pièces.
CB : Ce qui est ici cartographié, c’est l’habitat universitaire et non l’habitat bourgeois loué. Il y a sans doute de nombreux étudiants qui ont dû échapper à l’impôt, notamment les plus pauvres qui vivent dans une chambre.
SR : Il existe de fait une mixité depuis longtemps. À la fin de la période seulement, apparaît un essai pour trier les locataires, pour éviter d’avoir des métiers salissants ou bruyants.
CB : Le marché de l’immobilier est-il plus mobile dans Paris qu’ailleurs ? Le renouvellement de la population est-il rapide ?
SR : Ces étudiants se marient-ils ou non ? S’ils ont des familles, ils ont tendance à rester.
CB : Dans le censier on voit que les écoles restent longtemps. De quelles infrastructures sont-elles pourvues ?
SR : La logique du censier est de conserver le nom de celui qui paie.
Benoît Descamps (BD) : Le censier est un texte court. Le fait que l’on mentionne les écoles n’est pas anodin. On en conserve la mémoire.
SR : La maison est-elle équipée avec de grandes salles ?
DS : le chantre avait l’autorité sur les petites écoles. Il y a un lien d’autorité par rapport aux maîtres, et peut-être un droit à percevoir sur les écoles.
BD : Qu’est-ce que ça veut dire être universitaire ?
CB : Quand on a un maître avec ses étudiants, on ne sait pas s’il s’agit d’une petite d’école, ou de l’université (cf. J. Verger). Les femmes tiennent des écoles.
SR : La mention de « maître » ne veut pas obligatoirement dire qu’il s’agit d’un titre universitaire.
DS : La mention de « maître » au XVe siècle veut dire qu’il s’agit d’un « maître ès arts », c’est ce qui incorpore cet homme à la communauté. On peut néanmoins préciser dans certaines situations.
Compte-rendu rédigé par Marlène Helias-Baron et Nathalie Picque
Les comptes rendus des séances du séminaire d’Histoire de Paris sont disponibles aux adresses suivantes :
Prochaine séance : vendredi 9 décembre à 14h30
Bibliographie : bibliographie-paris-religieux-2006-2016
Compte-rendu en format pdf : seminaire_histoire-de-paris-1